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Stratégie digitale 2030 : une feuille de route sans issue pour les startups marocaines

Ce document produit par le Ministère de la Transition Numérique est-il véritablement la vision du Maroc pour l’avenir de ses jeunes entrepreneurs ?

Avec la nouvelle stratégie Digital 2030 du Maroc, beaucoup avaient placé l’espoir que le gouvernement reconnaisse enfin l’importance des startups et des jeunes qui sont le moteur de l’innovation dans tout pays, mais hélas, il semble que la stratégie sur 5 ans manque à la fois de l’ambition nécessaire et révèle une dépendance inquiétante aux capitaux et à la technologie étrangers.

Le prochain plan a été dévoilé en grande pompe alors que le gouvernement d’Aziz Akhannouch et le ministère de Mezzour ont exposé leur vision, ses objectifs et la feuille de route prévue pour atteindre les modestes ambitions décrites dans la stratégie du plan pour les startups.

Dans un pays où le chômage des jeunes (22,6 %) et des diplômés (25,9 %) atteint des niveaux inquiétants, les start-ups sont devenues ces dernières années un élément essentiel du discours économique national. Pour de nombreux pays, le choix de promouvoir les start-ups est logique, car il s’agit d’une alternative à la fourniture d’emplois intéressants aux diplômés.

Au Maroc, le désir de devenir un jeune entrepreneur est encore plus séduisant : pas de patrons en colère, pas d’années de stages non rémunérés. Créer une entreprise promet liberté et pouvoir d’action à une nouvelle génération de jeunes Marocains talentueux. Pourtant, ce rêve n’est pas aussi simple qu’il y paraît.

Les statistiques sur le taux de réussite des startups révèlent qu’il est extrêmement difficile de créer une nouvelle entreprise, surtout pour un jeune diplômé avec une idée brillante. Aux États-Unis, sans doute le pays le plus favorable au monde pour démarrer et développer une entreprise, le Bureau of Labor Statistics des États-Unis précise que 90 % de toutes les startups américaines échouent à long terme, souvent après des années de travail acharné. Au Maroc, 99 % des entreprises en faillite en 2022 étaient de très petites entreprises.

Plus il y en a, mieux c’est

Le fait que les startups ne soient pas une garantie et qu’elles aient un taux d’échec élevé est une statistique essentielle pour les gouvernements qui envisagent de développer leur écosystème de startups. Pour le gouvernement, l’échelle est essentielle. Plus les startups sont autorisées à se développer, plus nous voyons de succès et de temps en temps une « licorne », une startup valant 1 milliard de dollars ou plus.

Plus il y en a, mieux c’est. C’est pourquoi les villes les plus dynamiques du monde comptent des milliers de startups, certaines échoueront, d’autres prospéreront, mais l’écosystème des startups continue de croître. San Francisco accueille 11 812 startups, Londres en a accueilli 11 533, New York en a accueilli 13 594, Pékin en a accueilli 8 835 et Shanghai en a accueilli 7 422.

Alors, si on regarde ce chiffre, combien de startups le Maroc envisage-t-il de soutenir dans l’ensemble du pays de 40 millions d’habitants ? Un total de 3 000, et ce n’est pas l’objectif pour cette année, c’est le résultat souhaité d’une stratégie quinquennale qui s’achève en 2030.

Bien sûr, le Maroc ne peut pas se permettre le même financement que les startups américaines, britanniques et chinoises. Les startups new-yorkaises à elles seules ont plus de financement que le PIB marocain. Les startups marocaines seront confrontées au même problème que toutes les nations africaines, à savoir un manque d’accès au capital mondial pour investir et alimenter une croissance durable.

Bien que le gouvernement marocain ait correctement identifié ce facteur et promette d’aider à financer les startups, si ce financement est basé sur les 3 000 startups qu’il vise à produire, il ne reconnaît clairement pas qu’il faut aider à financer 30 000 startups pour avoir 3 000 startups à succès en 2030.

Dépendance excessive aux fonds étrangers

Même avec le soutien promis, le nouveau plan prévoit toujours une dépendance extrêmement élevée à l’égard des investisseurs en capital-risque internationaux, exposant les startups marocaines aux flux et reflux de l’économie internationale qui connaît régulièrement de graves chocs.

Si cela semble abstrait, permettez-moi de vous donner un exemple de ces chocs.

Le rapport 2024 sur le capital-risque en Afrique fait état d’ un « exode massif » d’investisseurs étrangers en Afrique en 2023, après une année record en 2022. La moitié des investisseurs sont partis subitement, poussés par les investisseurs américains qui ont abandonné leurs investissements sur le continent. Le rapport conclut son analyse de cette tendance en affirmant qu’elle révèle « le besoin d’allocateurs de capitaux locaux ayant un engagement à long terme envers le continent ».

Actuellement, l’ensemble de la scène des startups africaines a récolté 4,5 milliards de dollars de financement, soit environ 2,5 % du financement dont bénéficient les startups de New York et un peu plus de 1 % du financement des startups de San Francisco.

Bon, me direz-vous, le problème, c’est l’Afrique et ses difficultés structurelles face à la finance internationale. Nous sommes handicapés et les startups africaines sont par définition condamnées. Cette analyse est compréhensible mais totalement erronée.

Un manque d’ambition douloureux malgré le potentiel de la jeunesse

Le secteur des start-ups en Afrique est encore jeune et les gouvernements commencent seulement à reconnaître leur potentiel en termes de croissance économique et d’emploi. Certains pays ont pris les start-ups très au sérieux et ont désormais une longueur d’avance sur les autres.

Un article de Business Insider paru en 2023 détaille les principaux pays africains pour les startups, montrant que celles-ci prospèrent dans des pays majeurs comme l’Afrique du Sud, l’Égypte, le Kenya et le Nigéria. Il est intéressant de noter que le Maroc est également surclassé par de minuscules nations insulaires comme le Cap-Vert et l’île Maurice.

Même la Tunisie, avec son drame politique et sa grave crise macroéconomique, nous surpasse.

Ces faits sont sans doute connus de nos dirigeants à Rabat, et c’est peut-être même ce qui a motivé cette nouvelle stratégie. Mais ils révèlent un manque d’ambition douloureux, une dépendance à l’égard des capitaux étrangers qui ont tendance à se disperser et à fuir au moindre souci, et un manque sincère de respect pour la jeunesse marocaine.

Si vous dites aux jeunes talents et aux entrepreneurs en herbe qu’il n’y a pas d’emploi pour eux et que l’alternative est de créer leur propre entreprise, il est essentiel de soutenir ces étoiles brillantes de la société marocaine. Au lieu de cela, certains politiciens poussiéreux ont décidé que dans cinq ans, nous devrions avoir moins de start-ups que le Nigeria n’en a aujourd’hui.

Il s’agit d’une stratégie qui pourrait transformer une fuite des cerveaux en une inondation des cerveaux, où la seule start-up florissante serait celle qui vend des bateaux gonflables à des enfants qui préféreraient démarrer sans rien en Europe, plutôt que de consacrer les efforts à leur start-up que le gouvernement dit soutenir.